« Argumenter, Décider, Agir » (ADA).
« Argumenter, Décider, Agir » (ADA). Cette séquence peut sembler relever d’une forme d’évidence quotidienne. Elle soulève toutefois un ensemble de questions qui constituent le cœur du projet ici présenté : comment élaborer une argumentation ? Qu’est-ce que convaincre ou persuader ? Quels sont les dispositifs historiques et culturels de l’argumentation ? Comment les usages de l’argumentation influencent-ils les relations de pouvoir ? L’originalité du programme ADA tient ainsi à deux caractéristiques qui sont déjà au cœur du mode de fonctionnement de la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société de Lille (MESHS), coordinatrice du projet. D’une part, le souci de développer un cadre théorique propice à l’interaction des disciplines. D’autre part, la volonté de fédérer les sciences humaines et sociales (SHS) autour de leurs principaux apports à l’intérêt public : le débat éclairé, la décision consciente et l’action réfléchie. Reposant sur une thématique précise, le Labex ADA, porté par 19 laboratoires des régions Nord Pas-de-Calais et Picardie, vise à constituer un chantier commun à l'ensemble des disciplines en SHS pour répondre à des enjeux à la fois scientifiques et sociétaux.
Enjeux scientifiques car l’ambition du programme ADA est d'appréhender l’argumentation, concept familier aux différentes sciences humaines et sociales, dans ses aspects aussi bien fondamentaux que pratiques. Ces enjeux sont d'autant plus importants que la recherche en SHS ne se conçoit pas sans recours à l’argumentation, à l'adresse des pairs mais aussi du reste de la société.
Enjeux sociétaux du fait de l'évolution des sociétés où la gouvernance s'affiche comme nouveau mode de gouvernement, où l’argumentation et la communication prétendent remplacer les discours d’autorité, où la remise en cause apparente des formes de régulation traditionnelles semble nécessiter le recours à la participation et à l’argumentation.
PROGRAMME SCIENTIFIQUE
Le programme scientifique ADA répond aux exigences de la Stratégie nationale de recherche et d'innovation qui confère aux sciences humaines et sociales « un rôle majeur au sein de tous [ses] axes prioritaires [en participant] notamment à la construction des interfaces interdisciplinaires dans tous les domaines clés ». Les objectifs du Labex s'articulent autour de cinq axes principaux, chacun faisant intervenir une diversité de savoirs et d'équipes disciplinaires :
1. Modélisation(s) pragmatique(s) de l'argumentation
Cet axe vise essentiellement à étendre l'approche dialogique à un cadre général où l'argumentation est structurée comme une interaction ou comme un jeu où deux interlocuteurs échangent des "coups" définis par le type d'argumentation en question. Dans les trente dernières années, cette approche a donné des résultats désormais classiques en logique. Ce qui est proposé ici, c'est d'étendre cette analyse à d'autres aspects de l'argumentation (la persuasion, par exemple), en s’appuyant sur le fait que la portée heuristique des jeux n'est pas limitée à la description des modes d'inférence valide, mais peut aussi servir à décrire d'autres modes d'interaction entre locuteurs, comme la prise de décision.
2. Communication, langage et techniques d'argumentation
L'objectif principal de cet axe est d’étudier l'articulation des dimensions pratiques et théoriques de l’argumentation, ainsi que les relations que cette dernière entretient avec les différents modes de communication. Il s’agira notamment d'analyser les formes, la structure et l’utilisation du langage, la place des émotions et de la communication non verbale, ainsi que le rôle des nouvelles technologies dans l’argumentation et la communication. Cette problématique sera développée autour de deux directions de recherche : la modélisation des processus de production linguistiques dans l’argumentation d’une part, l’articulation entre les formes linguistiques et non linguistiques de l’argumentation, de l'autre.
3. Réception argumentative, persuasion et effets de pouvoir
Cet axe doit permettre d’aborder la question de la réception de l’argumentation au regard de sa force de persuasion et de conviction. Il s'agit alors de prendre en compte les contextes sociaux d’énonciation et de réception de l'argumentation, ainsi que les enjeux et les relations de pouvoir dans lesquels elle s’inscrit. Dans cette perspective, deux directions de recherche seront privilégiées : d’une part, la question du rapport de la prise de décision et du changement comportemental à l’argumentation ; d’autre part le fonctionnement de l’argumentation dans les relations de pouvoir.
4. Transformations diachroniques des pratiques argumentatives
Cet axe aborde les transformations diachroniques de l’argumentation au regard de sa performativité et de son efficacité, en mettant l'accent sur l’invention et le renouvellement des formes et des techniques de l’argumentation. Il s’agit aussi d’analyser les incidences que ces évolutions peuvent avoir sur les compétences nécessaires à l’argumentation. Cette perspective, à la fois historique et analytique, sera notamment déclinée selon trois directions de recherches. Il s’agira d’étudier d’une part la généralisation d’un impératif participatif ou délibératif dans toutes les sphères de la société, d’autre part la place croissante prise par les médias et les nouvelles technologies, enfin, le développement des échanges économiques, politiques, intellectuels et culturels internationaux et transnationaux.
5. Argumentation: représentation, raisonnement et calcul
Cet axe concerne plus principalement les considérations issues de l’intelligence artificielle et des moyens de calculs, en faisant notamment des modèles logiques des instruments pour élaborer des algorithmes et concevoir des systèmes de décision de groupe.
FORMATION
La formation est un volet essentiel du programme ADA, dont l'objectif est de créer et de développer autour de ses recherches une filière d’excellence aux niveaux master et doctorat.
Le programme s'impliquera très fortement dans la formation doctorale. Une spécialité ADA, destinée à des doctorants recrutés sur appel international à candidatures, sera créée. Elle reposera sur une procédure de sélection rigoureuse et sur une charte de formation commune aux écoles doctorales concernées. Les recherches menées dans ce cadre seront systématiquement financées par des allocations accordées par les différents partenaires du projet. Outre l'excellence scientifique, l'ouverture internationale et les liens avec le monde socio-économique seront les points forts de cette formation, qui prévoit, entre autres, un séjour de trois à six mois à l’étranger et le parrainage de chaque doctorant par un acteur du monde socio-économique afin d’assurer au mieux l’insertion professionnelle du doctorant. Ces travaux doctoraux seront fortement valorisés, notamment grâce à un prix de thèse international.
ADA sera également impliqué au niveau du master afin de consolider les formations existantes et émergentes. Les masters existants pourront, en fonction de leurs stratégies, créer des modules de formation consacrés à l'argumentation en sollicitant le programme ADA. En outre, ce dernier pilotera sa propre formation interdisciplinaire via un diplôme interuniversitaire « Master plus ADA », porté par les universités du PRES Université Lille Nord de France. Ce master visera l’acquisition de connaissances théoriques et de compétences pratiques dans le domaine de l’argumentation. Bilingue anglais-français, il fera l'objet d’une sélection rigoureuse sur la base d'un appel à candidatures international. Un prix pour le meilleur mémoire du « Master plus ADA » sera décerné chaque année.
Enfin, le programme ADA soutiendra le développement de la formation continue dont l'importance est un des points forts du PRES Université Lille Nord de France. Il proposera des formations ponctuelles en collaboration avec des centres de formation reconnus. Quatre publics principaux sont visés : les avocats, les élus politiques et syndicaux, les cadres de l'administration ainsi que les acteurs du secteur de l'économie sociale et solidaire. Par ailleurs, le « Master plus ADA » sera ouvert, au titre de la formation continue, à des candidats ayant déjà une expérience professionnelle.
VALORISATION, TRANSFERT ET EXPERTISE
Cette implication dans la formation continue reflète l'importance donnée aux relations avec le monde socio-économique et à la valorisation. ADA vise ainsi à développer les liens entre les acteurs de la recherche en SHS et le tissu industriel, administratif et associatif local, national et international. Il entend développer des applications concrètes dans une grande variété de domaines : aide à la décision (en lien avec la recherche en informatique et l'industrie logicielle), communication politique et publique (notamment en matière de discours de prévention), commerce, marketing, management organisationnel (en lien avec les pôles de compétitivité), mais aussi plus fondamentalement formation citoyenne et éducation (en lien avec les collectivités territoriales, notamment). Dans cette optique, le projet a déjà reçu le soutien de plusieurs partenaires non académiques. Pour amplifier cette dynamique, le Labex développera, à destination des acteurs économiques et sociaux, des ateliers de réflexion et de dialogue voire, à terme, un « World Forum ADA », qui favorisera les échanges entre des milieux parfois réputés « imperméables » l’un à l’autre.
Bien entendu, le programme ADA mènera une forte valorisation scientifique de ses travaux, qui prolongera l'effort de structuration de la recherche en SHS déjà mené au sein des régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie. Il a vocation à devenir un site de référence incontournable en matière de recherches interdisciplinaires sur l’argumentation. Dans cette optique, seront notamment mis en œuvre des séminaires de haut niveau associés à chacun des axes du projet, une ambitieuse politique de publication qui prendra la forme d’une collection et d’une revue internationale de référence sur le sujet ainsi qu’une politique active d’invitation de chercheurs senior et junior, notamment sous la forme de chaires et de contrats post-doctoraux, à l'échelle internationale.
GOUVERNANCE
ADA s'appuie sur un important potentiel de recherche en sciences humaines et sociales reconnu à la fois par les évaluations de l'AERES et par le ministère de l'Enseignement supérieur (diagnostic Strater). Il est coordonné par une institution qui a prouvé ces dernières années sa capacité à faire émerger des recherches pluridisciplinaires innovantes : la Maison européenne des sciences de l’homme et de la société (MESHS). Impliquant 19 laboratoires des régions Nord Pas-de-Calais et Picardie – dont certains sont déjà internationalement reconnus sur ces questions d’argumentation et qui se sont tous engagés à créer un axe transversal autour de ces thématiques –, il rassemble chercheurs et enseignants-chercheurs relevant de la quasi-totalité des sections SHS du CNU et de l'INSHS. Il contribue fortement à la stratégie des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche (universités, PRES, CNRS) en matière d'initiative d'excellence et reçoit un soutien appuyé de ses partenaires économiques et sociaux.
ADA se présentera donc comme un groupement interdisciplinaire de recherche associant des unités mixtes de recherche et des équipes d'accueil autour d’une unité mixte de service et de recherche (MESHS) qui a vocation à porter le projet et à lui permettre de réaliser les effets d'entraînement attendus. Le programme ADA sera dirigé par un directeur général et un directeur scientifique. Le directeur général, également directeur de la MESHS, sera l'intermédiaire entre les différentes parties engagées dans le consortium et l'ANR. Il engagera les moyens nécessaires à la réalisation du projet de Labex. Le directeur scientifique mettra en œuvre et contrôlera l'exécution du programme scientifique. Assistés d'un manager de projet, le directeur général et le directeur scientifique s'appuieront sur plusieurs instances : un conseil de direction, un comité scientifique et stratégique et un conseil de valorisation. L'accord de consortium fixera les missions et les modalités de fonctionnement de ces différentes instances. Ce mode de gouvernance répond tout à la fois au souci de respecter l’autonomie relative et les spécificités disciplinaires de chacun des laboratoires partenaires, et à celui de se donner les moyens d’une véritable politique d'excellence, permettant une recherche réellement interdisciplinaire ouverte au monde social.
Le programme ADA repose sur un pari ambitieux et une conviction fondamentale. La pluridisciplinarité et l’interdisciplinarité doivent permettre de surmonter une partie des obstacles auxquels chacune des sciences humaines et sociales se trouve confrontée lorsqu’elle traite seule des questions d’argumentation. Elles doivent également susciter des réponses innovantes propres à faire de ce Labex un acteur de référence à l'échelle internationale. Plus fondamentalement, ce projet vise à faire en sorte que les sciences humaines et sociales dépassent le rôle d’adjuvant qu’on leur assigne souvent indûment. Il s'inscrit ainsi dans les attendus de la Stratégie nationale de recherche et d'innovation qui assigne aux SHS une place centrale reposant sur leur capacité de nouer un dialogue interdisciplinaire pour penser les transformations des pratiques sociales, économiques et politiques et pour enrichir le débat public en favorisant les processus de communication, qu'ils soient ascendants ou descendants. En développant une recherche d'excellence ouverte sur le monde qui l'entoure, le programme « Argumenter, Décider, Agir » entend être à la hauteur des enjeux qu'impose le devenir de nos sociétés.